[RP OUVERT] Dis papa, c'est quoi ce village loin là-bas ?

Quelque jours plus tôt, devant la porte du 7 rue basse des remparts - Sémur, Bourgogne.

Je n'ai pas compris ce branle-bas de combat dans la maison durant toute la semaine.
Et encore ce matin, je suis effrayée par ces deux grandes bêtes à quatre pattes qui soufflent avec leurs gros nez et qui tapent le sol du pied.
C'est pas beau, de taper du pied.
Pourquoi Papa qui est assis juste derrière eux, il ne le leur dit pas, en levant le doigt et en fronçant les sourcils comme il le fait pour moi ?

Je dois lancer un drôle de regard à ma maman, qui me tient la main devant la petite maison à roues qui est accrochée aux deux drôles de bêtes, parce qu'elle me prend dans ses bras et me dit :

"Briançon, ma princesse... Nous partons pour Briançon." Et elle me tend à Apolline, déjà installée avec Jacob, mon petit frère.

Moi je veux bien, mais c'est quoi, Briançon d'abord ? Jamais entendu parlé du haut de mes presque deux ans... Presque deux ans dans... fiouff... Je regarde mes doigts, comme ils font mes parents, quand ils doivent compter... Mais moi, je ne sais pas... Je ne peux pas dire dans combien de doigts !
Presque deux ans... Je ne sais donc pas quand.

Mon papa, il dit que je pousse comme de la mauvaise herbe. Parfois, je l'entends qui demande à ma nourrice si elle ne mettrait pas du fumier dans mes chaussons. Mon papa, il dit vraiment n'importe quoi parfois. Je ne sais pas ce que c'est, du fumier mais dans mes chaussons, y'a que mes petits petons ! Enfin non, dans mes petites chausses, pardon.
Parce que désormais, je marche comme une grande.
Comme Maman, comme Papa, même comme Apolline.

Je marche à deux pattes depuis quelques temps déjà.
Depuis que ma maman, elle est devenue toute triste d'avoir perdu son gros ventre tout rond.

Ce jour-là, je n'ai pas compris non plus. Elle n'était pas comme d'habitude.
Son visage était tout brillant, et elle faisait la grimace. J'ai cru que c'était de me voir entrer dans sa chambre à quatre pattes. En plus, Apolline m'a rapidement prise avec elle, pour aller dans l'endroit très chaud où Papa travaille. J'ai eu peur de me faire gronder mais non, on a ensuite visité tout Sémur. Très vite, sur la hanche d'Apolline puis dans les bras de Papa puis de nouveau avec Apolline.
J'ai pas aimé. J'étais fatiguée et j'avais faim et puis, je voulais ma maman, d'abord.
Quand on est revenus à la maison, Maman était toujours couchée. Un grand monsieur comme Papa est entré dans sa chambre et on m'a remise dans mon lit. Mais j'ai entendu Maman lâcher un cri après un long silence qu'emplissait parfois le son de la voix du monsieur. Ensuite elle a pleuré et elle est restée triste tout le temps. Papa aussi même s'il essayait de la faire sourire parfois.

J'ai cru que c'était un peu de ma faute aussi... Plus de ventre tout rond et moi, sachant marcher comme eux mais préférant marcher à quatre pattes. C'était tellement plus facile pour attraper le chat et lui tirer la queue.
Alors j'ai décidé de marcher debout. Je voulais plus voir ma maman triste et déçue comme ça. Son sourire est revenu mais juste un peu. Alors qu'aujourd'hui, tandis qu'elle s'installe en face de la nourrice et qu'elle me prend sur ses genoux, elle rayonne.

Elle est radieuse ma maman et je l'aime. J'aime aussi mon papa qui sourit depuis une bonne semaine.

Peut-être qu'il a retrouvé le gros ventre tout rond de Maman... Peut-être qu'il est à Briançon et que c'est pour ça qu'on va là-bas ?
Je crois que j'aime bien Briançon, déjà.

[Même heure, même jour, même endroit qu'un post plus haut]

Il était tôt.
Tôt en ce matin, où le fond de l'air était encore cru pour la saison, attendant que l'astre diurne vienne le réchauffer du bout de ses rayons.
Il était tôt et tout était prêt pour le grand départ, celui qui les ramènerait à la maison pour de bon.
Pourtant, Morgane avait eu pour crainte qu'une malle ne lui résistât. Celle-là même qui n'en avait fait qu'à sa guise lorsqu'ils s'étaient apprêtés à quitter Briançon, plus d'un an et demi auparavant.
Cette dernière n'avait pas voulu se fermer.
Avait-ce été un présage : celui qu'ils n'auraient pas dû quitter leurs montagnes ?
Avaient-ils fait une erreur en s'installant ailleurs ?

Tandis que l'attelage avançait, la brune aux yeux clairs faisait le bilan.

Il y avait eu des disparitions cruelles - surtout pour son aimé. Ozanne, Clara la douce...
L'annonce de la maladie d'Akron, son meilleur ami après Hard', "son" alsacien, décédé pendant le périple de la famille de Maussac-Thézan.
Son accouchement en Lyon la Rugissante, où Margot pointa le bout de son nez, précédée d'une soeur, Emma, qui ne lui survécut pas.
Leurs déboires dans le comté du "Pouah"tou, comme elle aimait à l'appeler, sous les assauts d'un sergent de police un peu trop zélé.
Le laisser-aller d'un prévôt breton qui, dans son accès de paresse, avait fait trainer leur demande de laisser-passer et les frontières de la Bretagne étaient restées fermées. Akhesa, si proche et si loin à la fois...
Ils avaient repris la route, s'arrêtant à Sémur pour y vivre le décès d'une proche amie de Morgane : Zhaïa...

Que de pertes... A bien y repenser, le bilan semblait de prime abord catastrophique.

Et puis il y avait eu la vigne.
Et puis il y avait eu le vin.
Et puis il y avait eu ce renouveau, cet engouement, qu'ils avaient tant cherché.
Il y avait eu Ccsdb, bourgmestre aux multiples mandats, tisserande au caractère bien trempé, dont la rencontre avec la briançonnaise avait du départ fait des étincelles avant que de laisser place à une amitié sans faille.
Et puis il y avait eu Jacob, petit orphelin, victime de la guerre qui frappa la Bourgogne en été 1457, victime de la Zoko. Ils l'avaient pris sous leurs ailes à la demande de dame Linon et ce petit garçon qui babillait désormais dans la cabine était devenu un fils en leur maison. Il n'avait pas remplacé Emma mais en avait rendu le souvenir de la perte plus supportable. Comme un onguent sur une plaie béante, s'acharnant à la guérir, s'entêtant à la refermer.

Jusqu'à ce cruel matin de mars 1458 où le destin s'obstina une fois de plus. Accouchement prématuré, deuxième fille perdue : Rachel.

Alors qu'elle réprimait un spasme de la bouche, car rien ne devait entacher ce jour qui s'annonçait heureux pour eux tous ; alors que des longues minutes venaient de s'être égrainées sur le fil de ses pensées, restreignant d'autant le temps qui les séparait de leur destination, elle sentit l'attelage s'arrêter et entendit Échalote, sa jument, accompagnée de Théodème, le frison de Marcko, souffler profondément.

Nous y sommes, Morgane, lui dit une voix provenant de l'avant : Marcko avait atteint l'étape incontournable qu'ils se devaient de faire. Aussi déposa-t-elle la petite Margot aux côtés d'Apolline, leur fidèle nourrice et descendit rejoindre son époux.

[hrp]hrp : on finit notre petit flashback + description du voyage avant d'enchainer en réponse au post de LJD Ninoua [/hrp]

Une semaine plus tôt, ancien domaine viticole des De Maussac-Thézan

Morgane, descendue de l'attelage, les bras de Marcko autour de ses épaules, regardait non sans mélancolie la centaine de pieds de vigne qui s'alignait devant eux.

Passage obligé, escale obligatoire avant de prendre définitivement la route vers le duché voisin.

Lever de soleil printanier sur ce qui fut durant de longs mois leur nectar, ce vin, offrande des Terres Bourguignonnes.

Nous étions en mai. Période de floraison, qui suivait celle du débourrement. Morgane était souvent venue s'asseoir au pied de ses vignes et elle avait pu voir les bourgeons se développer, croître. Elle avait caressé du bout des doigts ces rameaux qui grandissaient un peu plus chaque jour et ces feuilles qui apparaissaient. La sève coulait à nouveau dans les ceps. Le cycle reprenait, inlassable, incessant : parce que c'était ça, parce que c'était comme cela.

La nature montrait l'exemple et un de ses jours là, passé dans la contemplation du fruit de leur labeur, la brune aux yeux clairs avait pensé qu'il fallait boucler la boucle, qu'ils ne pouvaient plus attendre plus longtemps.

Ce grand moment était désormais arrivé.

Se tournant vers Marcko, elle lui sourit et d'un signe de tête lui fit comprendre qu'ils pouvaient reprendre la route.
La ligne d'horizon se colorait de pastels, les oiseaux entonnaient leur chant matinal, et au loin, dans l'enceinte du village, les Sémurois s'éveillaient.
Une autre boucle était bouclée : celle des cycles diurne et nocturne. Tout continuait, tout reprenait. La vie aussi, et justement, la leur les attendait.

[Un pic ? Non deux !]

Morgane s'était assoupie, comme précédemment dit, sur les affreuses paroles de la tout aussi affreuse berceuse d'Apolline, de sorte qu'elle n'avait pas senti l'attelage faire une pause.
Elle avait d'ailleurs dormi tout son soûl et ce n'est qu'au chant du coq - à moins que ce ne fut par la sensation d'un regard posé sur elle - qu'elle s'éveilla.
Ses yeux croisèrent alors ceux de l'homme auquel elle avait lié son destin de nombreux mois auparavant, en cette même ville qu'ils cherchaient à rejoindre. Elle lui sourit, encore légèrement endormie.
Le ronflement d'Apolline - qui soutira à Marcko un petit rire - termina de la sortir de sa torpeur. Des yeux, elle fit le tour de l'habitacle de la cabine.

Jacob, enfant trouvé et adopté, devenu comme un fils en leur foyer, commençait à s'agiter. Sa petite bouche suçotait avidement son petit pouce.

Margot quant à elle était recroquevillée tout contre Morgane, sa chère petite tête blonde reposant sur l'une des cuisses de sa mère.

Un geste.
Un seul pour sa princesse.
Le même qu'elle avait - imprégné de tant de tendresse - pour Marcko : replacer derrière son oreille une mèche rebelle lui barrant le front.
Et oui, si ce n'était les quelques boucles sauvages qui commençaient - tout comme celles de la brune aux yeux clairs - à encadrer le visage poupin de Margot, la fille avait tout hérité de son père : blondeur du cheveu, mèches rebelles, mimiques du visage... Même ses yeux, jadis aussi clairs que ceux maternels, s'étaient légèrement assombris et avaient pris cette couleur océan qui définissait si bien les iris paternels.

Délicatement, Morgane se libéra, laissant reposer doucement la tête de sa petite sur la banquette. Puis elle déposa sur le corps de l'enfant son vieux châle de laine, celui qu'elle affectionnait tant lors des longues soirées d'hiver au coin du feu de leur demeure au 6/7 chemin des Niouks.

La Brune avait bien senti que le fond de l'air était plus cru. Plus pur aussi. C'est pourquoi elle se dépêcha de rejoindre son aimé au dehors et, passant ses bras autour de la taille de son homme, avec lui elle contempla les deux sommets enneigés et légèrement dissimulés dans la brume matinale des pics Odon et Assiette.

Nous y sommes, murmura-t-elle, de l'émotion dans la voix. La Bourgogne et Sémur me semblent soudainement si loin...vaporeuses... Comme dans l'éther d'un rêve... C'est comme si jamais mon cœur n'avait quitté le Lyonnais et ses montagnes.

Au loin, elle apercevait l'imprenable forteresse. Ainsi la nommait-on, ainsi la nommait-elle, avec affection. La porte de l'enceinte du village se distinguait elle aussi. En fermant les yeux et en tendant le bras, elle pouvait la toucher du doigt et en ressentir le dessin de chaque nœud du bois la composant.

Alors qu'elle s'apprêtait à s'exclamer un enthousiaste "en route !", c'est une autre voix qui se fit entendre :

Bonjorn ! Bienvenue à Briançon. Puis-je vous conseiller une auberge où souhaitez-vous garder votre roulotte pendant votre séjour parmi nous ?

Morgane se tourna et découvrit une jeune femme brune, enceinte, qui les accueillait en souriant.

La bonne journée à vous dame. Un séjour ? Par Aristote non ! Nous rentrons à la maison !