[RP] Correspondance viticole

Le dos bien droit, Marcko s'installa au plumier pour y gribouiller quelques mots. Son regard était intriguant, tantôt perdu dans le vague, tantôt vif et pénétrant.
Il rédigeait. Il se relisait. Il râlait : ça n'était pas assez bien à son goût. Les premières correspondances allaient porter l'image de marque du Domaine de la famille De Maussac-Thézan.

Il voulait un courrier qui donnerait envie au lecteur : l'envie d'y répondre, l'envie d'une commande.

"...Nonn !" Ainsi posa-t'il la plume, le visage attristé, dont les traits semblaient parler d'abandon. Marcko s'affala un instant sur ce qui lui servait de siège.

La tête entre les mains, il se reposa un instant, pour mieux se remettre à réfléchir. Quelques minutes passèrent, quand soudain il se redressa : son idée lui semblait lumineuse !

Citation :: Cher Messire X,

Cela fait bien longtemps, et quel plaisir de vous écrire. Je tenais à vous indiquer ceci : Non, ce n'est pas une rumeur parmi les marchands. Muni de sa robe rubis, de son goûter souple sans pareil, le vin de Bourgogne est né, sous le nom de notre domaine.

Associée aux meilleures tonnelleries du Duché, la maison des De Maussac-Thézan a mis en cave sa meilleure production. Notre cuvée pourra ravir vos convives et leur laisser dire votre goût des bonnes choses. Ce rare produit parviendra peut-être à votre table, si telle et votre volonté Messire.

A l'unité, ou en quantité, votre désir sera nôtre.

Qu'Aristote vous garde,
Marcko et D@rk_sh@adow de Maussac-Thézan.

Vite, l'homme se leva pour aller présenter la chose à son épouse.

Ils avaient un jardinet, pas bien grand certes, mais en ce jour l'était-il suffisamment pour deux marmots et leur mère, Apolline étant partie au lavoir panier sous un bras, planche et savon d'alep dans l'autre.
Une grande couverture avait été installée pour les petits, surtout pour que Margot, fière gambadeuse à quatre pattes, n'allât point couronner ses genoux à la peau encore bien tendre.
Et la mère de surveiller les enfants, sa fille partant à la découverte de l'espace qui lui était offert, et son fils adoptif dormant du sommeil du juste, sur un coin de la couverture. La fillette avait la blondeur des blés de son père et le soleil qui commençait à être plus bas sur l'horizon à mesure que l'on avançait dans la saison se reflétait sur ses petites boucles, qu'elle tenait de sa mère, parant sa chevelure d'enfant d'or et de lumière. En outre avaient-ils bonne mine tous deux et c'était plaisir, c'était bonheur, que de voir leurs petites joues rosies par l'effort pour l'une et par la chaleur d'un doux sommeil pour l'autre.

Morgane en souriait, attendrie, quand son époux arriva - à pas de loup pour ne pas déranger le petit homme endormi - et lui tendit un parchemin empli d'une écriture que la jeune femme identifia comme celle de Marcko sans même avoir lu le contenu.

Qu'est-ce ? demanda-t-elle le regard interrogateur.

Et elle lut.

C'est extrêmement bien tourné ! Mon époux, je crois qu'avec un tel courrier, les réponses ne tarderont pas à affluer ! As-tu pu te renseigner sur les noms des Commissaires au Commerce des autres duchés ?

La vigneronne était enthousiasmée à l'idée que leur vin, celui qu'ils avaient tant espéré pouvoir produire puis faire connaitre, s'exportât un jour dans tout le royaume.

Oh et puis, il y a nos anciennes connaissances en Lyonnais que tu pourrais contacter... Argaël ! et tous ceux que tu as pu côtoyer durant tes mandats ducaux. Messire Gouverneur, il est temps pour vous de reprendre contact avec les hautes sphères de la noblesse. Je me charge pour ma part d'envoyer missive à Hardryan. Je dois lui demander des nouvelles de lui et sa famille, j'en profiterai pour glisser quelques mots à propos de ce vin que nous allons produire. Il a lui même de nombreux contacts dont certains, je n'en doute pas, font partie de l'Elite du royaume.

Marcko s'enthousiasmait, s'exclamant de "Ouiiiii!" et autres "Tout à fait !", le visage heureux.

Oh que je suis content que tu le penses propice aux réponses ce courrier. Je pourrais contacter tous ceux là oui : les plus anciens de chez nous, aussi ceux de mes vieux amis aujourd'hui grands sous la couronne du Roy. Ce courrier partira aux quatres vents, débordera même nos frontières. Notre vin sera connu mon aimée ! et son renom sera grand sur la table des Nobles de ce monde.

Marcko ne cessait plus de rêver. Rêver les tonneaux marqués du nom de leur Domaine à tous les deux, rêver ces tonneaux commandés par les cours les plus prestigieuses, dont le contenu révèlerait l'excellence d'un luxe bien acquis.

L'ancien Gouverneur révait. Mais qui sait ? Peut-être que ces jours de gloire seront vrais. Encouragé, il produisit déjà quelques uns de ses courriers. Ces premiers étaient destinés à d'anciennes proches connaissances aujourd'hui au rang bien élevé.

[Quelques semaines plus tard]

Au fil des jours qui passaient, l'inquiétude commençait à s'installer dans le coeur du père de famille : les vendanges avaient été très fructueuses, de nombreux tonneaux furent achetés neufs et remplis du jeune vin. Mais le voici qui vieillissait, sans encore en trouver de riches acquéreurs : c'était toutes leurs économies investies qu'ils risquaient d'y laisser.

Seulement voilà : le courrier, depuis longtemps envoyé, venait de trouver première réponse. Et là, c'est un homme empressé qui débarqua au pas de course au sein de la cuverie de l'épouse...

[Cuverie de Maussac-Thézan]

Il y avait deux sortes de tonneaux dans la cuverie de Morgane : d'un côté, les vides, de l'autre les pleins.
La première sorte s'amenuisait à mesure que la seconde grossissait : son atelier tournait bien, alimenté pour le moment par leurs économies et par l'huile de coude et la sueur de son front que la jeune femme mettait dans son artisanat.

Elle souhaitait en effet se diversifier en fonction du public auquel s'adresserait son vin. Elle y avait beaucoup pensé et s'était arrêtée sur l'idée suivante :

Le jus tiré et filtré, issu exclusivement de la première presse serait réservé à la vente. Un vin de qualité, pour un public de connaisseurs, qui en auraient l'aisance financière et surtout l'exigeance.
De celui issu de la seconde presse, Morgane avait imaginé en faire quelques bouteilles d'Hypocras... Le mélange subtil de l'alcool et de la douceur des épices, elle y avait toujours été sensible et savait combien l'apéritif plaisait aux femmes. Quant au restant non transformé, peut-être trouverait-il preneur auprès des taverniers du village.
Si troisième presse elle réussissait à obtenir, elle en ferait du vinaigre, pour la cuisine. Assaissonner salades et crudités, voilà qui aurait son utilité pour tout cordon bleu qui se respecte.

La jeune femme était fière de son projet, "l'Eau des Fouloirs" aurait une clientèle aussi variée que nombreuse. Et avec l'aide des courriers de Marcko, elle ne doutait pas que les commandes afflueraient aussi vite qu'un bruit de pas dans l'escalier amenant auprès d'elle celui de ses pensées.

Et bien ! Te manquerais-je donc autant pour que tu viennes jusqu'à moi en courant, tout essouflé que tu es ?

L'épouse s'avança vers l'époux, glissant une main dans son dos, elle le regarda, amoureuse comme au premier jour, et lui remit en place l'éternelle mèche rebelle qui lui barrerait toujours le front, quoi qu'elle tentât :

Prends garde la prochaine fois que tu viens en ma cave, les escaliers sont un peu glissants.

La maîtresse des lieux s'était approchée, le tenant par une main placée en son dos. Une main douce, dont la jumelle prenait la peine de lui remettre en place quelques cheveux mal placés comme à leur habitude. Le regard amoureux de son épouse lui racontait toute la douceur et tout l'amour qu'elle éprouvait pour lui. Lui qui lui était si acquis... Nulle vie sans elle, pour Marcko. La vie ne valait plus que par elle... un homme amoureux lisant ces lignes soupirerait tant il le vivrait, tant c'était vrai.

L'époux prit sa belle entre ses bras, la serrant pressément, le sourire barrant son visage plus que sa mèche rebelle ne barrait son front : il était fou, porté par la réussite qui leur arrivait.

Un peu glissants ? les escaliers ? Mais, chère mère de ma fille, ne voyez vous pas comme je vole ?

Morgane aurait pu voir son mari pris d'une humeur de saltimbanque. Mais il se reprit. Un petit pas en arrière, et Marcko pu tenir la taille de Morgane entre ses mains, le regard plongé dans le sien.

Marquant la pause entre chacun des mots, l'être aimé au regard si bleu énonça: "Trois tonneaux Morgane. Trois tonneaux ! Trois de plus !"

Trois de plus ?

La jeune femme sautilla sur place, en applaudissant puis...

Mon dieu, j'en ai la tête qui tourne... Avec les 4 que j'ai déjà vendus à cette chère Vicomtesse, les 7 que je me dois encore de lui faire baillir...

Elle compta mentalement puis s'écria :

Nous en sommes à 14 déjà !

Elle rit, se jetant au cou de son époux, étonnée, impressionnée, galvanisée, comme transportée par autant de succès.

Te rends-tu compte doux aimé... Jamais nous n'avions autant prospéré... Même en Briançon, alors que le duo de forgerons que nous formions tournait pourtant fort bien...

Elle l'entraine un peu plus au fond de la cave, lui montrant de la main, les rangées de tonneaux qui commençaient à se former. Un véritable renouveau, pas un renouveau de pacotille non, celui qu'ils avaient rêvé pour eux, qu'ils avaient attendu, tant et tant, celui qu'ils espéraient, en engageant les économies de toute leur vie dans une nouvelle production... Voilà qu'enfin ils en touchaient les dividendes, juste retour de la sueur, du travail fourni, sans compter, avec acharnement.

L'avenir nous sourit enfin... Après de longs mois en Briançon, à mourir d'ennui, après le décès de notre Emma en Lyon... Après un voyage des plus longs, ne trouvant pas où nous installer pour tout recommencer... Aristote a fini par nous offrir de trouver une terre où élever Margot, notre enfant unique, que nous chérissons tant. Il nous a offert la vigne, le vin... ainsi qu'un nouvel enfant pour agrandir notre famille... Et toutes ces commandes qui affluent maintenant ! Je n'en reviens pas !